ENTREPRENEURIAT – On pourrait penser que la promotion de l’entrepreneuriat étudiant n’est pas la première priorité dans le système d’enseignement supérieur marocain qui doit d’abord renouer avec l’excellence dans sa mission première de formation.
Un pays qui délivre 80.000 diplômés d’enseignement supérieur par an et crée, bon an mal an, autour de 30.000 emplois, tous niveaux de qualification confondus, a un problème structurel grave de qualité de son capital humain et d’insertion professionnelle de sa jeunesse.
Le Maroc fait partie d’un petit club de pays où, paradoxalement, l’accès à l’emploi est plus difficile pour le porteur d’un diplôme supérieur (60,5% de chômage) que pour un non diplômé (9,2%) . L’amélioration de l’employabilité des diplômés nécessite des actions sur la création d’emplois dans l’économie nationale, la régulation des flux entrants dans l’université, une meilleure orientation des jeunes vers des filières qualifiantes et l’amélioration de la qualité de la formation.
L’entrepreneuriat étudiant doit faire partie de ces efforts mais ce n’est pas la panacée qui dispenserait les dirigeants du pays de leur responsabilité sur l’employabilité des diplômés. Il est heureux de savoir que ces dirigeants sont conscients des défis à relever. Ce préambule étant posé, il convient de faire un état des lieux de l’entrepreneuriat universitaire et esquisser quelques préconisations pour son développement.
Commençons par rappeler qu’il y a, actuellement, près de 700.000 étudiants dans l’ensemble du système d’enseignement supérieur au Maroc (670.000 dans les établissements publics et un peu plus de 30.000 dans le secteur privé). On ne peut pas parler d’entrepreneuriat de la même manière à un étudiant dans une filière littéraire ou dans une grande école d’ingénieur.
Alors qu’il faut se réjouir de l’égale représentation des deux sexes dans l’enseignement supérieur, les jeunes hommes et les jeunes femmes n’ont pas le même rapport à l’entrepreneuriat. Quand on parle d’entrepreneuriat étudiant, au sens de la création d’entreprises, une segmentation de la population étudiante est donc nécessaire.
Une grande majorité des étudiants devraient être incités à envisager la création de leur propre emploi. Ces étudiants n’ont pas besoin de suivre des cours « pointus » en entrepreneuriat. Les établissements concernés devraient d’abord mettre en place des dispositifs d’accompagnement pratique vers l’auto-entrepreneuriat et fournir un minimum d’appui sur les questions comptables et fiscales. La minorité d’étudiants qui fréquentent les grandes écoles ou des filières scientifiques et technologiques appliquées, qui acquièrent des savoir-faire pratiques et qui ont plus facilement accès au marché du travail devraient, quant à eux, être encouragés à créer des startups susceptibles de créer plusieurs emplois et contribuer à la lutte contre le chômage.
Les établissements concernés devraient mettre en place une offre pédagogique en entrepreneuriat pour initier les étudiants entrepreneurs aux multiples facettes de la création, du développement et de la gestion d’une entreprise. L’offre pédagogique devrait être complétée par un dispositif d’accompagnement vers la création. Nous y reviendrons plus bas. Alors que le chemin qui reste à parcourir pour introduire l’entrepreneuriat dans l’ADN d’un système d’enseignement supérieur, encore largement perçu comme devant mener vers la fonction publique et le salariat, est long, il faut saluer l’engouement, depuis peu, pour l’entrepreneuriat dans certaines couches de la population étudiante.
L’activisme des réseaux Enactus et Maroc Start-Up, avec l’appui de la Fondation OCP, y est pour beaucoup. L’organisation de compétitions, évènements et autres hackatons sur les campus marocains contribue largement à sensibiliser les étudiants aux potentialités de l’entrepreneuriat et à générer des projets parfois très innovants. L’action très utile de ces associations ne comble malheureusement pas le déficit structurel des établissements d’enseignement supérieur en matière d’entrepreneuriat.
Ce thème y est encore vu comme marginal et n’est pas porté par le corps enseignant. A quelques exceptions près, dans de grandes écoles publiques et des écoles privées, l’entrepreneuriat n’est pas intégré dans l’offre pédagogique. Le Maroc ne dispose pas encore d’un réseau national d’enseignants chercheurs impliqués dans la promotion de l’entrepreneuriat. Là où des cours d’entrepreneuriat sont offerts, ils sont généralement animés par des entrepreneurs et des vacataires, ce qui ne permet pas de pérenniser l’engagement des établissements dans ce domaine et d’injecter l’entrepreneuriat dans l’ADN de l’enseignement supérieur.
Au déficit de l’offre pédagogique et au manque d’appropriation de l’entrepreneuriat par les enseignants chercheurs s’ajoute un très faible taux de transformation des projets portés par des étudiants. Je me rappellerai toujours de cette équipe composée d’élèves d’une école d’ingénieurs qui ont conçu un dispositif pas cher et très utile à des personnes handicapées. Je les ai encouragés, en vain, à persévérer et les ai mis en contact avec des acteurs susceptibles de les aider à le réaliser. L’appel du salariat a été plus fort. Le projet n’aura, en fin de compte, servi qu’à participer à des compétitions et à obtenir des récompenses.
Cet exemple est loin d’être un cas isolé. Les concours d’entrepreneuriat ont, semble-t-il, fabriqué des professionnels du « pitch ». Les leviers d’action pour promouvoir l’entrepreneuriat étudiant sont trop nombreux pour être discutés en détail ici. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche devrait formuler une intention stratégique forte et demander à chaque président d’université et directeur d’école d’élaborer un plan d’action en adéquation avec les caractéristiques de son établissement et de sa population étudiante.
Ces plans d’action devraient comporter des indicateurs de mesure des efforts consentis et de performance. Ces indicateurs devraient faire partie de l’évaluation des établissements et de leurs dirigeants. Les plans d’action devraient créer dans les établissements une dynamique forte autour de l’entrepreneuriat pour toucher le plus grand nombre d’étudiants et susciter des vocations. Il ne faut surtout pas que la promotion de l’entrepreneuriat dans un établissement se limite à une simple création de cours.
Pour stimuler le passage à l’acte, les établissements, seuls ou conjointement, devraient créer des incubateurs animés par des responsables qui comprennent la culture entrepreneuriale et savent attirer des étudiants entrepreneurs, les mettre en confiance et les accompagner dans leur aventure entrepreneuriale. L’accès aux incubateurs ne devrait pas être compliqué par l’exigence d’un business plan où le projet serait entièrement pensé avant d’être confronté à la réalité. La mise en place des incubateurs devrait être renforcée par la création de fonds d’amorçage universitaires susceptibles d’investir, selon des modalités adaptées aux caractéristiques des projets, dans des entreprises créées par les étudiants.
L’action combinée de l’accompagnement dans les incubateurs et de l’appui financier devrait abaisser les barrières à l’entrepreneuriat et permettre à des porteurs de projets de passer à l’acte sans devoir choisir le salariat faute de pouvoir assurer leurs besoins de subsistance. La constitution d’un réseau d’enseignants chercheurs impliqués, mais pas forcément spécialisés, en entrepreneuriat facilitera l’appropriation de ce thème par le corps enseignant et sa pérennisation dans l’institution universitaire. La constitution de ce réseau peut se faire à travers l’organisation de séminaires de formation de formateurs, des échanges de bonnes pratiques, l’encouragement à la production de cas, la publication de recherches et de bilans d’expériences, etc.
Les ambitions de développement formulées par les plus hautes autorités du pays ne s’accommodent plus d’une faible création d’emplois et d’un système universitaire qui pèse lourd sur les finances publiques sans contribuer, à la hauteur attendue, au développement du capital humain et à la création de richesse. Une démarche volontariste de promotion de l’entrepreneuriat étudiant peut y contribuer mais ne doit pas, comme dit en introduction, dispenser les responsables politiques, économiques et universitaires d’actions courageuses et efficaces sur d’autres leviers de développement.
Auteur: Prof.